Nicolas, attention aux clichés et aux modèles entrepreneuriaux uniques

Billet de blogue en réponse à : https://www.lesaffaires.com/blogues/nicolas-duvernois/attention-au-lifestyle-entrepreneur/611628
Salut Nicolas,
Mon nom est Georges Saad. Tu ne me connais probablement pas, mais d’abord, j’aimerais que tu saches que je ne suis ni un millennial, ni un paresseux. Je suis cofondateur de Spektrum, de l’écosystème SPK, Snipcart et aide et supporte plusieurs startups à travers notre programme d’accompagnement Apollo13.
J’aime bien lire tes articles dans la Presse et j’apprécie beaucoup l’inspiration que tu apportes aux entrepreneurs. J’ai particulièrement apprécié celui sur la santé mentale.
Par contre, nos opinions divergent un peu. Surtout sur ton dernier article, le lifestyle entrepreneur : il y a quelques points sur lesquels je ne suis pas tout à fait en accord et je me permets de nuancer. D’ailleurs, désolé du délai de réponse à ton article, j’étais justement en vacances et je viens de le lire. :)
Risque versus engagement
Je pense que c’est important de distinguer la notion de risque avec celle de l’engagement. On peut être très engagé envers un projet avec des niveaux de risques très différents. Oui, se lancer en affaires est le plus grand risque qu’un entrepreneur doit prendre, là-dessus, on s’entend.
Mais la notion du risque est quelque chose de très relative et ne devrait pas être la mesure de l’engagement. Quand tu risques moins, ça ne veut pas dire que tu es moins engagé, loin de là!
Par exemple, un père de famille avec quatre enfants a une notion du risque très différente de celle d’un célibataire fraîchement sorti des bancs d’école. C’est tout à fait normal.
En lisant ton article, on comprend que tu t’es sacrifié pour ton entreprise, mais est-ce vraiment le seul chemin? Chez Spektrum, en comparant à ton parcours, on n’a clairement pas pris les mêmes niveaux de risque et pourtant, on n’a jamais manqué d’engagement ni de succès. Je fais la promotion de l’entrepreneuriat responsable à travers le monde et dans une perspective de durabilité et de vitesse de croissance plus lente, un sacrifice trop grand ne peut perdurer très longtemps et peut, des fois, être une raison d’échec!

Storytelling et le mythe de l’acharnement
Les raisons de devenir entrepreneur sont multiples et personnelles à chacun :
- Créer quelque chose de prestigieux (et être reconnu pour)
- Faire le plus de cash possible
- Voyager au maximum et profiter d’une liberté
- Avoir plus de temps pour sa famille
- Laisser un impact positif
Comme les raisons, les moyens pour arriver à ces fins sont également différents.
Certains préfèrent travailler fort et sans relâche. Ils, avouons-le, en ont besoin pour obtenir ce sentiment de fierté et d’accomplissement. D’un autre côté, si un entrepreneur a comme but de créer une business qui embauchera 10 personnes et lui amènera assez d’argent pour bien vivre, voyager à travers le monde et être autonome, c’est tout aussi valide. Non?
Dans ton article, tu dis à quel point c’est hallucinant la quantité d’entrepreneurs que tu rencontres qui vivent de leur entreprise plutôt que de vivre pour leur entreprise.
Ma question est : en quoi est-ce mal de vivre de ton entreprise?
- Ton but est de faire le tour du monde avec ta famille, tu veux donc créer une entreprise qui te le permettra. Clairement, les efforts au début seront plus grands et nombreux pour qu’elle te fasse vivre sans y dédier corps et âme.
- Ton but est d'avoir un impact dans un certain domaine ou pour lequel tu seras reconnu, tout en permettant d’en vivre. La satisfaction viendra du fait que tu travailleras toujours très fort, jusqu’au jour où tu te diras « j’ai eu l’impact que je voulais, maintenant je vais me laisser vivre ».
Au final, tout repose sur tes intentions. Ensuite, il reste à travailler en conséquence pour y arriver.
Il faut toujours y mettre de l’effort, on est d’accord! Mais selon moi, les objectifs de l’entreprise qu’on crée sont tout autant respectables et variés qu’il y a d’entrepreneurs! Pour aller plus loin, je trouve même qu’il y a un danger de promouvoir le seul modèle qu’on entend le plus souvent, celui des grands sacrifices et des acharnements contre vents et marées! C’est un peu dans notre nature d’humain d’aimer le storytelling, les histoires d’Hercule et de Goliath et du underdog qui finit par réussir! C’est selon moi, loin du modèle le plus commun de la majorité des entreprises. Une entreprise à succès peut avoir un parcours sans embûche, sans nécessairement devoir tout gambler et être toujours all-in.
Ne penses-tu pas que le succès et la pérennité d’une entreprise signifie justement que l’entrepreneur n’ait pas à travailler 80h/semaines et laisser l’entreprise être portée de ses propres ailes, plutôt que le nombre d’employés et le chiffre d’affaires?

Les fameux "wantrepreneurs"
L’entrepreneuriat est rendu sexy, là-dessus, on s’entend. Les "wantepreneurs" sont présents plus que jamais.
Par contre, il ne faut surtout pas généraliser et englober toute une génération là-dedans. Selon moi, nous sommes dans une des plus belles ères de l’entrepreneuriat, et s’il y a une idée que l’on peut généraliser, c’est que la médiocrité persiste d’une génération à l’autre.
Aujourd’hui, une bonne majorité des entrepreneurs est consciente des responsabilités sociales des entreprises et de l’importance des humains qui les constituent. On semble enfin se diriger vers un entrepreneuriat durable et pérenne, l’inverse des entrepreneurs/entreprises barbares obsédés par la vitesse et la croissance à tout prix pour des fins uniquement mercantiles. Par contre, des pommes pourries, il y en a partout. Il faut simplement faire attention aux clichés. Les hipsters du coworking, tu verras, ils ne resteront pas longtemps dans le paysage!
Pour finir, Nicolas, même si je ne suis pas d’accord avec ta réflexion sur ce sujet précis, je pense qu’on s’entend quand même sur la majorité des principes entrepreneuriaux. Ne faisons pas la promotion des clichés ou des stéréotypes générationnels qui sont rarement positifs. Aide-nous plutôt à porter le message de l’entrepreneuriat durable et responsable qui privilégie le travail sain, intelligent et soutenable plutôt que l’acharnement, l’entêtement et l’obsession de croissance à tout prix. Si tu aimerais qu’on en discute en personne, autour d'un café, d'une bière ou d'un verre de vodka, ça me fera plus que plaisir.
Georges Saad,
Cofondateur Spektrum/Écosystème SPK/Snipcart
Photos : Elias Djemil