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L’indignation comme source de l’éthique

L’éthique du numérique… les enjeux, on les connaît tous, pas vraiment besoin d’un autre atelier ou séance d’information sur la chose pour en savoir plus ou pour mieux agir, hein? Étrangement, le matin de la rédaction de ce billet, j’apprends le clonage de trois singes par des chercheurs chinois. En 1996, alors que je faisais mon entrée au cégep, le cas de Dolly, cette brebis clonée, me semblait déjà comme un glissement de la volonté humaine. Je me suis rappelé les travaux que j’ai faits sur la question du clonage au cégep, mon indignation, ma méfiance sur les belles paroles rassurantes des chercheurs qui étaient toutes légitimées par leurs travaux. Je me suis souvenue du regard clair de ces gens, des analystes, de tous ceux qui tentaient de mettre de l’objectivité sur la naissance d’un être vivant hautement discutable. Essayant de faire taire le deuxième étonnement philosophique, soit celui de l’indignation. (Le premier étant l’étonnement devant le monde qui existe plutôt que rien. Avouons que le deuxième étonnement est plus crunchy.)

Que nous permet-il de faire, cet étonnement? Il nous permet de dire :

Non!

Wo-minute!

Ça suffit!

C’est injuste!

Avouons que c’est hot comme sentiment. Oui, l’indignation est de l’ordre du sentiment. C’est ce qui nous pousse à sauver quelqu’un de la noyade, ce qui nous amène à fondre en larmes devant les atrocités qui se passent en Syrie depuis des a-n-n-é-e-s, ce qui nous donne un élan de compassion envers un inconnu dans le besoin, ce qui amène un meurtrier à vouloir rencontrer la famille de sa victime 25 ans après sa condamnation pour faire un pas vers la réparation, ou plus près de nous, toute la vague de #moiaussi / #metoo et #balancetonporc.

On le voit, la justice est une notion profonde qui s’inscrit dans l’action humaine et qui demande que l’on s’y intéresse plus largement qu’à travers la législation ou la normalisation de nos sociétés. Cette notion interpelle l’humanité en chacun de nous et son respect.

L’éthique qui traverse le numérique

Quand on parle d'intelligence artificielle, de réalité virtuelle, de tech dans les vêtements (wearable), cette notion de respect de l’humanité est-elle mise en place dans la discussion? Quand on commercialise des produits comme Google Home, est-ce que ces notions ont été prises en compte par les développeurs? Est-ce le rôle des développeurs de poser ces questions? Et ces développeurs, sont-ils considérés à leur juste valeur, soit des êtres humains à part entière qui ont le droit de poser des questions éthiques sur les produits qu’ils vont développer? Ou sont-ils pris comme une force de travail et le questionnement devait arriver au début du projet et non pendant? Qu’en est-il des lanceurs d’alertes comme Edward Snowden?

Et qui ne devrait laisser personne indifférent

On croit souvent que le monde fonctionne bien sans poser de questions. Que les rouages tournent à plein régime, que le questionnement ferait s’arrêter la machine et que, par la suite, le démarrage serait rendu difficile, voire impossible. Chaque fois qu’on me dit une telle chose, je me remémore le cas de ce fonctionnaire allemand qui, pendant la Deuxième Guerre mondiale, plaide sa non-culpabilité concernant l’orchestration, la coordination et la mise en oeuvre des camps de la mort. Ces camps, il les a pensés, conçus, planifiés, réalisés et mis en marche. Jamais il ne s’est posé la question: qu’est-ce que je suis en train de faire? Pourquoi? Parce qu’il disait qu’il ne faisait que son travail et suivre les ordres.

Vous êtes peut-être en train de vous dire : non mais, un instant, je ne pourrais jamais faire ça. Je ne suivrais jamais des ordres pareils. Eh ben, même si pour la question du numérique, la vie de personnes innocentes n’est pas mise en cause, la traçabilité, la collecte de données, la création de communautés, les algorithmes sont des aspects du web qui traitent tous de la responsabilité de chaque acteur dans la mise en oeuvre de cette si magnifique et ô combien salvatrice technologie.

Par ce dernier atelier de philo sur le numérique, va-t-on mettre un frein à cette machine si puissante et performante qu’est le web? Bien sûr que non, mais notre volonté et nos actions futures ne seront plus jamais les mêmes.

[Note : le dernier atelier de la série #philoSPK est finalement annulé. Suivez Joëlle pour connaitre ses prochaines initiatives et qui sait, peut-être de nouveaux formats de collaborations avec SPK dans le futur!]