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5 constats d’affaires après deux mois en Suisse

Cette année, en janvier, je ne suis pas parti un mois en vacances. J’ai brisé une longue tradition et c’est pour une bonne raison : j’ai déménagé depuis décembre en Suisse avec ma petite famille. Non, ce n’est pas pour des raisons fiscales, mais plutôt parce que ma dame de cœur est suisse. En décembre 2018 (ouf, c’est déjà l’année passée, ça), on a donc fait deux petites valises, habillé le petit et nous sommes débarqués en Suisse, plus précisément à Sion en Valais. Après deux mois, j’ai décidé de présenter mes 5 premiers constats business de la Suisse.

1. Formalisme, froideur… mais pas tout à fait !

« Tu verras : ils sont froids, les Suisses » est l’une des premières choses que je me suis faite dire, principalement par mes potes français. Je constate que si on ne se fie qu’à la première impression, ce n’est pas tout à fait faux. Il y a un niveau de formalisme auquel nous sommes moins habitués en Amérique du Nord. ll n’est pas rare qu’un courriel que je reçois se termine par «  dans l’attente d’une prochaine rencontre, je vous prie de croire, cher Monsieur, à l’assurance de mes sentiments dévoués » alors que je viens tout juste de rencontrer la personne en jeans et t-shirt et que je lui ai raconté une tonne de conneries. À mieux les connaître et après avoir marié une femme suisse, je constate qu’il ne s’agit pas de froideur, mais plutôt d’un mode de fonctionnement naturel. Au-delà de ces premiers contacts, ils préconisent la profondeur relationnelle.

Les Québécois sont souvent reconnus comme étant chaleureux et accueillants, ce qui est loin d’être faux ; je peux moi-même en témoigner alors que je débarquais fraîchement du Liban en 1999 et que je trouvais que tout le monde était beaucoup trop cool. Or, c’est plus souvent dans un contexte de party ou de fête et, malheureusement, ça m’a pris du temps avant de développer de réelles relations profondes avec des amis du Québec. Bien que les Suisses soient en règle générale plus difficiles d’approche, il y a une réelle profondeur qui s’établit une fois cette première étape franchie.

2. Le relationnel et les valeurs > les affaires

En Suisse, il est rare, voire très rare, d’amorcer de nouvelles rencontres sur l’unique base des affaires. Par exemple, lors des 5 à 7 ou apéros d’affaires, les gens ne parlent vraiment pas de boulot, mais plutôt de la vie, des hobbies et de la famille. Jusqu’à présent, je n’ai entendu personne me dire : « justement, je cherchais une équipe de développement pour un de mes projets » alors que ça arrive assez régulièrement au Québec. Même s’ils ont un intérêt ou un besoin, ils vont plutôt engendrer une discussion afin de mieux me connaître personnellement avant de parler de business. Il n’est pas rare après avoir rencontré quelqu’un pour la première fois d’aller ensuite s’informer à son sujet auprès de plusieurs autres personnes pour mieux connaître sa réputation. C’est un peu un principe de « blockchain » humain. :)

La business passe toujours deuxième et c’est vraiment le relationnel qui est la priorité, même lors de rencontre d’affaires. Pour ma part, c’est une approche qui me rejoint beaucoup.

3. Le téléphone > les courriels

Celle-là me surprend encore après deux mois. En Suisse, lorsque tu rencontres quelqu’un, ils te demandent ton numéro de téléphone cellulaire et ils vont réellement t’appeler plutôt que de t’envoyer un courriel. Oui, oui ! Ici, les gens se parlent quasiment toujours de vive voix. Lors de mon arrivée, j’ai envoyé quelques courriels à des gens qui m’avaient été recommandés (comptables, avocats, etc.) et je n’ai jamais eu de retour alors que j’étais un client potentiel. Par contre, lorsque j’ai décroché le téléphone, c’était une autre histoire. J’ai d’ailleurs récemment rencontré quelqu’un de très sympathique lors d’un événement et le lendemain, je recevais un appel de ce dernier, m’invitant à aller skier.

4. Constituer une entreprise n’est pas pour tout le monde 

Ce constat est purement administratif. Au Canada, constituer une société par actions (inc.) coûte 200 $ et le tour est joué. En passant par un avocat, on en arrive à débourser entre 2000 et 3000 $, ce qui est tout de même considéré comme un processus simple et peu coûteux. En Suisse, pour constituer une société anonyme (SA) par actions équivalente à l’incorporation au Canada, il faut disposer d’un capital obligatoire de 100 000 CHF (130 000 CAD) rien que pour créer légalement la compagnie. Il existe une autre forme de constitution, la SARL, qui exige un capital obligatoire moindre, soit de 20 000 CHF (26 000 CAD), mais il ne s’agit pas de l’équivalent d’une incorporation.

En apprenant cette réalité, ma première réflexion a été de réaliser que Spektrum n’aurait probablement jamais vu le jour dans ces conditions. Mais qu’en est-il de tous les jeunes sortant de l’école qui désirent se lancer dans un projet entrepreneurial ? N’est-ce pas là un obstacle majeur à l’entrepreneuriat ? J’ai donc soulevé le sujet à maintes reprises avec des gens d’ici et la même réponse revient souvent : « ils s’arrangent et finissent par y arriver ». Ça ne m’a pas convaincu.

Puis, lors d’une discussion avec Frédéric Bagnoud sur l’approche lean que nous préconisons à travers Apollo13, il m’a fait remarquer que « le capital obligatoire, c’est un peu comme la première vente des entrepreneurs. S’ils ne sont pas en mesure de convaincre leur entourage, comment vont-ils convaincre les clients potentiels ? » Cette réponse-là m’a vraiment plue. À ce jour, je ne sais toujours pas comment me positionner par rapport à cette mesure qui ne me semble pas nécessairement complètement négative. Cela freine et bloque probablement plusieurs entrepreneurs sauf qu’en contrepartie, le niveau d’engagement de ceux qui réussissent à se lancer est beaucoup plus élevé et douloureux que s’ils n’avaient investi que 200 $.

5. Les valeurs SPK sont moins marginales

Depuis 10 ans, à travers Spektrum et plus récemment avec SPK, nous avons initié le mouvement de lenteur et d’entrepreneuriat responsable à Québec. C’est encore loin d’être la norme, mais je suis et serai toujours convaincu que c’est la bonne voie à suivre. En arrivant en Suisse, j’ai réalisé que notre discours est loin d’être marginal. La lenteur, la petitesse, l’excellence du travail, la croissance organique et l’importance des valeurs fortes au sein des organisations sont tous des éléments qui sont naturellement ancrés dans les pratiques des entreprises et des entrepreneurs. Cela vient peut-être de la taille physique du pays, mais ça m’a réellement surpris de constater que la vision de croissance frénétique n’y avait pas du tout sa place. La Suisse étant un pays reconnu pour la qualité de ses produits, son efficacité et, surtout, son indépendance d’opinion, j’y vois une preuve que le fait de pratiquer l’entrepreneuriat de façon plus humaine ne veut en rien dire de sacrifier sa compétitivité.

Mon établissement en Suisse a été, jusqu’à maintenant, un vrai charme qui va au-delà de mes attentes initiales! Tout ça aurait franchement été impossible si ce n’était des personnes extraordinaires que j’y ai connues. Mention spéciale aux «truands» de la Cabine, en particulier à Sébastien et Florence!

Même si mon déménagement ne date que de bientôt deux mois, une tonne de projets mijotent. Bien que j’aie bien hâte de pouvoir en parler, il faut tout de même y aller lentement pour bien faire les choses. :)

À plus !