Valeurs d’entreprise : plus que des mots écrits sur un mur

Parler de valeurs au sein d’une entreprise est particulièrement à la mode en ce moment. Et comme toutes choses «à la mode», ce phénomène a ses bons et moins bons côtés.
Le bon : plus que jamais, les valeurs d’une organisation sont mises de l’avant. Elles permettent de définir la personnalité de l’entreprise, mais aussi de connecter plus humainement avec les employés et les clients.
Le mauvais : « valeurs » et « culture d’entreprise » sont des termes qui sont souvent pervertis afin d’être récupérés à des fins marketing RH et de recrutement.
Il est désormais impossible de penser qu’un employé met ses valeurs et principes personnels sur pause à 9 h, en arrivant au bureau, pour ensuite les réactiver 8 heures plus tard en le quittant. On passe beaucoup trop d’heures de notre vie au boulot pour que nos valeurs ne soient pas alignées avec celles de l’organisation pour laquelle on travaille.
Puisque c’est un sujet qui est fréquemment abordé dans les conférences qu’on donne, les discussions qu’on a et les évènements qu’on organise, je me permets de m’exprimer sur le sujet. Mon objectif: bien cerner ce qui définit les valeurs organisationnelles et leur popularité récente.

Commençons par définir ce que les valeurs et la culture d'entreprise ne sont PAS :
- Des mots inspirants collés sur un mur
- Une table de babyfoot ou de pingpong
- Un fût de bière
- Un bureau «espace ouvert»
- Tant qu’à y être : une piscine à ballons
Si je vous parle d’une agence de développement cool et trendy dont les employés branchés, passionnés et innovants croient en la qualité et la satisfaction client comme priorité, êtes-vous en mesure de deviner précisément celle que je vous décris? La triste réalité est que c’est difficile puisqu’il pourrait s’agir de n’importe quelle boîte de web et mobile au Québec… voire au monde! Honnêtement, il serait facile d’apposer un manifeste de valeurs comme celui qui suit sur n’importe quel mur de bureau :
Passion, Qualité, Surpassement et Innovation!
Si c’est par ces qualificatifs qu’on définit nos valeurs, cela veut dire qu’on n’a vraiment pas été chercher très loin! Personne ne se dit «trou de cul», tout le monde a pour moteurs fondamentaux la passion et la qualité. En fait, cela devrait être la base de toutes organisations.
Maintenant, ce que les valeurs et la culture d’entreprise sont :
- Identitaires et distinctifs
- Issus de la personnalité non seulement de l’organisation, mais, également des employés
- Des priorités pour l’entreprise
Pour y arriver, il faut donc creuser un peu plus loin. Les valeurs et la culture se doivent de définir de manière forte une organisation et son équipe. Sans que l’ensemble des valeurs ne soit tatoué sur le cœur de chacun, ces valeurs se doivent tout de même d’avoir une valeur identitaire au niveau organisationnel et individuel à des degrés différents .
La majorité des valeurs et cultures promues dans les entreprises d’aujourd’hui pourraient être interchangeables entre elles. On lit des platitudes et du minimum requis qui sont déguisés en valeurs «uniques».
Il est souvent question de valeurs, mais j’aime également parler d’attitude. Une attitude, c’est de l’émotion et de l’authenticité. En ayant une attitude authentique, qui découle de nos valeurs, je pense qu’il est impossible de plaire à tout le monde! C’est un peu ça la diversité, non?! On n’est pas tous nés dans le même moule et on ne pense pas tous la même chose. Alors, pourquoi ne pas assumer nos opinions, nos valeurs et notre attitude et ce, jusque dans notre entreprise.
Une des qualités qu’on acclame le plus chez les entrepreneurs est le courage, et j’ai l’impression que quand vient le temps de parler de valeurs et de culture, la majorité d’entre eux sont peureux.

Les défis d’instaurer une culture et des valeurs fortes
La vérité, c’est que plus l’on est nombreux dans une organisation, plus il est difficile d’avoir une culture forte et distincte. C’est normal. Plus un groupe est grand, plus il est difficile d’arriver à un consensus. Un défi plus exigeant sans toutefois être impossible à relever. Le nerf de la guerre, c’est de maintenir des valeurs fortes au sein de son équipe, peu importe sa taille.
Dans le cas de Spektrum, on a eu le luxe d’avoir en tête des valeurs fortes dès le début. L’entreprise a donc été bâtie dans le souci de respecter ces valeurs intrinsèques. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous refusons de dépasser le cap des 20 employés et que nous maintenons une «petite équipe».
Le deuxième défi est la cohérence entre les actes posés et les valeurs prônées. Par exemple, si une des valeurs de l’organisation est d’être «humain» et que lors des négociations de salaires, on essayait de payer le moins possible ou bien qu’on proposait une grille générique pour l’échelle salariale, on serait clairement dans la dissonance. Pourquoi s’affirmer humain alors qu’on traite ses employés comme des ressources? De par les valeurs qu’on affirme, on se doit d’être cohérents à travers les décisions que l’on prend, et ce, à tout moment et peu importe la situation, même au risque de perdre un client, un employé ou un partenaire.
Le troisième défi est de s’assurer que le tout soit une démarche collective. Personne, pas même le propriétaire, ne doit avoir le plein contrôle. Les valeurs d’une organisation se doivent d’être maintenues en premier lieu par les employés et non l’inverse. Sinon, elles sont imposées et l’authenticité n’y est plus vraiment. Ça devient une politique organisationnelle.
Un bel exemple récent de cette dimension est lorsque Vincent et moi avons proposé à toute l’équipe d’ouvrir les salaires de tout le monde afin de se coller à notre valeur de transparence. Après un long échange, l’équipe s’est prononcée contre l’idée. Non pas par protectionnisme, mais plutôt parce qu’elle ne voyait pas en quoi ce serait utile, quel problème cela réglerait (ce sujet mérite d’ailleurs un article complet que pour lui). Cette discussion a cependant permis d’aborder d’autres questions et a notamment entraîné une révision complète du processus d’évaluation individuelle appliqué jusque-là. À mon grand désarroi, les salaires demeurent privés à ce jour… sauf celui de Vincent et le mien!

«Actions speak louder than words»
Au-delà de toutes les belles valeurs qu’on pourrait énumérer, même si une organisation en a défini officiellement ou pas, c’est en fin de compte les actions des organisations qui définissent sa personnalité et son attitude. Ces dernières ont des responsabilités sociales plus grandes que jamais et je pense qu’elles devraient toutes prendre position publiquement sur les enjeux qui leur tiennent à cœur. Une entreprise n’a pas le devoir, ni l’obligation, de plaire à un maximum de personnes pour seulement faire un maximum de profit. Ce temps-là est révolu il y’a longtemps!
Dans un contexte d’hyperlibéralisme et d’hypersensibilité sociale, il est, selon moi, fondamental de s’affirmer et surtout de s’assumer. Non pas pour discréditer ou discriminer, mais plutôt pour qu’il y ait une réelle diversité et engager des débats et des discussions. C’est ça, des valeurs d’organisations fortes : avoir des opinions et positions authentiques, au risque de ne pas faire l’unanimité!
Photos : Elias Djemil