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Dictature des notifications : reprendre le contrôle

Cet hiver, j’ai participé au tournage de l’émission Banc public à Télé-Québec et elle a récemment été mise en ligne. L’épisode portait sur la dictature des notifications. J’ai adoré mon expérience sur le plateau et je sentais que l’équipe avait étudié son sujet en profondeur (la coréalisatrice avait même participé à notre Rencontre SPK sur la technologie persuasive!). Malgré tout, une petite partie de moi avait un peu peur que le résultat diabolise les technologies. C’est malheureusement encore trop fréquent dans les médias. D’ailleurs, Nellie Brière a lancé la page Facebook « Technophobia » en réponse au climat de peur ambiant! Quand j’ai vu passer cette publication sur Facebook juste avant la première diffusion à la télé, mon anxiété a été décuplée.

Sans rancune au gestionnaire de communauté qui n’a probablement pas eu l’occasion de voir l’émission : j’explique justement que mon épuisement professionnel n’était pas directement attribuable aux technologies, mais que mon utilisation d’il y a quelques années n’a surement pas aidé à mon bien-être global. À cette époque, je n’étais pas sensibilisée aux mécaniques de Facebook et autres applications pour me faire passer le plus de temps possible sur leur plate-forme.

Technologie persuasive, vous dites?

Tristan Harris, ex-philosophe produit chez Google et fondateur du mouvement Time Well Spent et du Center for Humane Technology, donne plusieurs exemples de mécaniques liées à la technologie persuasive sur son blogue. Il compare notamment les téléphones intelligents à des machines à sous, parce que chaque fois que l’on regarde son écran, c’est comme si on jouait au casino pour voir ce qu’on va obtenir. Les mentions J’aime, les emojis amusants dans les messages textes ou le fait d’avoir plus d’abonnés sont toutes des récompenses aléatoires et puissantes qui nous incitent à utiliser notre téléphone plus souvent. Saviez-vous que ces techniques de persuasion sont enseignées à l’Université de Stanford dans la formation « Captology » (Computers As Persuasive Technologies : CAPT)? De nombreux designers et psychologues de la Silicon Valley sont passés par là, comme M. Harris.

Connaître ses vulnérabilités psychologiques

Pour en revenir à l’émission, j’ai beaucoup aimé la diversité des sujets abordés, le temps consacré à la rencontre d’intervenants passionnants pour mieux faire comprendre la problématique et le souci de laisser les auditeurs avec des trucs concrets pour mieux gérer leurs notifications. Le seul passage qui m’a fait sourire et qui nécessite plus de précisions (on ne peut pas tout dire dans un montage de quelques minutes!), c’est lorsque Guylaine Tremblay, l’animatrice, m’a demandé comment je m’y suis prise pour aller mieux.

Guylaine : « Qu’est-ce que tu as fait pour redevenir correcte? »

Moi : « Bah, je me suis dit “ "je m’en vais dans l’bois!" »

Puis, on change de sujet. Évidemment, je ne me suis pas seulement isolée dans le bois pour me « détoxifier » de la technologie (d’ailleurs, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée, quand on va mal, de faire ça!). Rassurez-vous, mes parents étaient avec moi. Mon corps et ma tête n’avaient plus du tout envie de s’exposer à un quelconque écran et au rythme imposé par les notifications : ça n’a pas été difficile de décrocher.

Je n’étais pas cyberdépendante, mais mon utilisation était le reflet de mes vulnérabilités psychologiques. Si j’étais née quelques décennies plus tôt, l’impact de ces vulnérabilités se serait probablement manifesté différemment, sans l’omniprésence des médias sociaux. C’est là qu’il est important de faire des nuances avant de démoniser les technologies, selon moi. Même si l’humain recherche l’équilibre, il aura toujours besoin de béquilles, quelles qu’elles soient.

Attaquer le problème de front

Ce qui m’a aidé le plus, c’est d’attaquer mon problème de front grâce à la thérapie cognitive-comportementale. Quand je parlais plus haut de vulnérabilités psychologiques, dans mon cas, c’était (comme bien des femmes du milieu des communications, d’ailleurs) d’avoir des exigences trop élevées envers moi-même, me faisant vivre une anxiété de performance constante. Le rythme des médias sociaux et l’accessibilité infinie à l’information ne faisaient que stimuler ce pattern destructeur. J’ai donc creusé avec ma psy pour mieux comprendre les causes de mon malaise, appris à penser différemment et à m’imposer des limites plus humaines.

À quand une éducation numérique généralisée?

Comme j’en parle dans l’émission, ce qui m’inquiète, c’est que bien des jeunes qui n’ont pas vécu le monde avant l’omniprésence des médias sociaux et autres applications n’ont aucune idée de l’impact des notifications dans leur vie. Comme on a pu le voir dans le segment tourné dans la classe de Catherine Mathys, pour plusieurs, le concept est flou. Durant les entrevues, certains avouent même qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient les désactiver.

Si ceux qui feraient supposément partie de la génération des « natifs numériques » ne sont pas conscients du contrôle qu’ils ont sur leurs appareils technologiques, qu’en est-il du reste de la population? Ça m’inquiète. Aussi, ça m’étonne qu’en 2018, on n’offre pas encore de cours d’éducation numérique dans toutes les écoles, que les médias ne contribuent pas davantage à la sensibilisation en la matière et qu’on ne parle pas encore assez de design éthique dans l’industrie des technologies.

Design éthique et reconnexion humaine

Tristan Harris décrit le design éthique comme des technologies qui nous redonneraient notre liberté de choix. Par exemple, si nos téléphones étaient réellement pensés pour notre mieux-être, ils n’afficheraient pas le matin ce que nous avons manqué (les notifications). Ils ne nous feraient pas entrer dans cette « matrice créée de toutes pièces ». En entrevue, il affirme que « le problème, c’est que ça nous change à l’intérieur, on devient de moins en moins patient avec la réalité, surtout quand c’est ennuyeux ou inconfortable. Et parce que la réalité ne correspond pas toujours à nos désirs, on en revient à nos écrans, c’est un cercle vicieux. »

Et si on profitait de l’été pour se reconnecter à un rythme plus humain, qui n’est pas dicté par les impératifs technologiques? Et si on décidait d’affronter le vide, de s’ennuyer un peu, de rêvasser, d’oublier de trainer notre téléphone plus souvent, de dédier la totalité de notre attention sur les gens qui nous entourent, sur ce que l’on ressent, sur notre simple respiration? Et puisqu’on ne peut pas faire totalement fi de la technologie (bien utilisée, elle est une excellente alliée!), reprenons le contrôle de notre attention et paramétrons nos utilisations!

Pour mieux comprendre l’impact des notifications dans nos vies et découvrir des trucs pour en faire une expérience quotidienne positive, visionnez l’émission en ligne. J’ai hâte d’entendre vos commentaires et de découvrir de vos trucs!

Mise à jour : pour ceux qui préfèrent la version audio, j'ai aussi donné une entrevue à radio Énergie sur le sujet. Il est possible de l'écouter en ligne au début du segment (à partir de 1 min 30).

Photo en couverture : Banc public (Pamplemousse média)